
Chroniques d'entre ciel et mer
Dehors d'autres attendent, bientôt l'ouverture, on me presse, le feu même des entrailles de maman me rend indésirable, qu'ai-je fait du nid charnel sinon en avoir tendrement abusé ? Une déchirure ici, sans doute un soleil trop curieux ?... Des pans entiers se déplacent, me baladent à leur guise, l'univers se gratte, il se trouve que je le démange quelque part, je ne sais où, tant ma place était jusqu'alors insignifiante, et pourtant... Un cri lâché comme un lointain écho de l'univers, identique à tous, à elle à lui, enfin le mien. Le silence est maintenant rouge. L'air me déchire. Quelques larmes glissent d'une joue à l'autre, d'elle à lui de lui à elle, quand la marée monte...
Qu'étais-je avant tout ça ? Le sourire se le rappelle, le saura sans doute toujours, nous verrons bien demain.
Le lien est maintenant coupé, une berceuse tristement tendre m'initie à ce monde : ton souffle encore, maman, qui perdure, et que je n'entendrai plus jamais ainsi...
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Peut-être est-ce là quelques atomes qui me giflèrent, comme vous gifle des fois la forme de certains nuages, je les voyais de mon landau, les admirais tant, tentais même de les attraper, des mains, des pieds, esprits malicieux qui me chatouillaient jusque dans l'âme.
Si tu savais, comme au-dessus les idées sont belles, regarde, maman, une couronne de rêve, elle est juste là pour toi, regarde, comme les choses passent... Mais tes paupières basses retenues à tant de choses. Il devrait y avoir des landaus pour tous. Une autre fois, peut-être. Oui, maman, mes larmes aussi passeront. J'ai mal quelque part au fond, tu ne sais pas où ? ... Peut-être qu'avec des mots un jour, je saurais te le dire...
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Je me souviens de ton visage dans la brise d'une plage, sous ce soleil salé qui rend les gens heureux, ta tignasse éclaboussée d'océan et encore, la peau barbouillée et l'esprit gavé de tant de lumières mouillées, là où ton sourire gambadait de mon enfance à la tienne, tu étais belle, ces fois-là, si belle, ces fois...
Quand des fois tes yeux... maman, j'ai soif de toi, faim aussi des autres, du monde, faut dire le parfum des choses.
Et puis, et puis, et puis il y eut les files de voitures qui remplacèrent les vagues, la combustion fit le reste. Beaucoup d'enfants pleurèrent quelques larmes mi-sable, mi-océan. Les chaussures lacées effacèrent jusqu'au souvenir des marées, un autre cycle prenait la relève, les ondes radiophoniques remettaient à la page le cahot du monde, une cacophonie de mots que je ne pensais pas pouvoir comprendre, et pourtant…
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Extrait de la pièce de théâtre : Anima, de Patrick Gratien-Marin
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